Interview d'experts - Le point de vue de Denis Ferrand,
Directeur Général de Rexecode, Centre de Recherche pour l'Expansion de l'Economie et le Développement des Entreprises,
sur le financement des PME

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Comment situez-vous le placement privé obligataire dans le panel des solutions ?

Dans le panel des financements, ce qui est très intéressant, c’est d’apprécier la capacité d’accès au mode de financement que peuvent avoir les entreprises. Quand on interroge des PME, elles nous disent qu’en réalité elles n’ont pas tellement de problèmes de fonds propres, d’equity, ce problème est plutôt résolu, il n’ y a pas un sujet majeur. Sur un autre plan qu’est celui de l’accès au financement bancaire, on se rend compte qu’il y a des possibilités d’accès à des financements de trésorerie, des financements pour l’investissement qui, aujourd’hui, ne sont pas particulièrement difficiles. Mais on sait aussi qu’il y a les antécédents de 2008 / 2009 où, d’un seul coup, le sol s’est dérobé sous les pas des chefs d’entreprises qui se sont retrouvés privés d’un accès au financement, au moment où ils en avaient le plus besoin. Il y a un effet de mémoire aussi qui joue chez les chefs d’entreprises. Et d’une certaine manière, le complément de l’arsenal de financement au travers d’un obligataire privé est un outil tout à fait pertinent pour le chef d’entreprise parce qu’il diversifie sa palette de modes de financement et qu’il ne se dilue pas comme il pourrait le faire au travers d’un equity. Il a aussi accès à un financement qui apparaît plus certain, dans la mesure où les banques doivent faire face à des règlementations de plus en plus draconiennes qui limitent leur capacité d’intervention. L’obligataire privé complète donc véritablement l’arsenal du chef d’entreprise pour pouvoir se porter vers un peu plus de croissance.

Comment expliquez-vous le fait que les PME aient très peu recours à cette source de financement obligataire alors même que les besoins sont immenses et qu’il y a beaucoup d’argent disponible ?

Les PME, jusqu'à présent, se sont peu posées la question de ce type de financement, probablement parce qu’elles ont l’habitude d’avoir recours à leur banque : Le financement est très intermédié en Europe en général et en France en particulier. Le rôle de la banque dans le financement est quand même très important mais justement, la nature ayant horreur du vide et les banques étant contraintes dans leur capacité de financement, il faut aussi réfléchir à d’autres modes de financement : Est ce que je vais me tourner vers de l’equity au risque de me diluer ou est ce que je ne vais pas chercher des solutions alternatives ? Il y a donc bien une question d’habitude, mais il y a aussi probablement une question de méconnaissance. Et pourtant quand on regarde bien la situation des PME, on sait qu’il y a toujours un problème de relais des financements. Les premiers tours de tables, qui permettent de lancer l’entreprise avant même qu’elle ait commencé à générer du chiffre d’affaires sont suivis du relais par de l’endettement bancaire, à un moment où les conditions d’exploitation sont mieux établies, où du résultat peut être dégagé. Ces deux moments clefs que sont les moments de l’émission d’actions et de la dette qui sont bien balisés. Et puis il y a tout ce qu’on appelle la « vallée de la mort » qu’ont à traverser les entreprises qui est celui où l’entreprise ne va pas faire de nouvelle levée de fonds en equity sans avoir encore accès au crédit bancaire. Le financement obligataire privé n’a-t-il pas pour objet de raccourcir cette période tout à fait cruciale ? C’est en cela que l’obligataire privé peut compléter, d’une certaine manière, l’arsenal des financements auquel peuvent accéder les PME.

Est-ce que, de votre point de vue, cela serait souhaitable que ce type de financement se développe à l’instar de ce qu’il se passe chez nos voisins anglo-saxons ?

Il est vrai qu’en matière de financement, ce sont souvent les pays anglo-saxons qui nous donnent l’orientation. Il ne faut pas prendre tout ce qu’ils proposent, rappelons-nous évidemment des crises passées qui ont été quand même extrêmement violentes et auxquelles nous avons échappé en partie. Il ne faut probablement pas tout reprendre des choix que font les anglo-saxons mais il y a aussi des choses qui marchent et parmi ces choses qui marchent, l’obligataire privé apparaît comme un mode de financement qu’il faut regarder fortement parce que c’est une condition de croissance des PME. On sait qu’il existe en France un vivier de PME dynamiques, innovantes, en capacité de se projeter à l’extérieur mais qui manquent un peu de taille. On sait également qu’on a un vrai problème en France quand on regarde la structure des entreprises : il y a, d’un côté, beaucoup de grandes entreprises qui sont performantes, capables de se projeter, très internationalisés et, de l’autre, beaucoup de PME. Et, entre les deux, on a une kyrielle d’ETI, certaines très performantes, mais qui sont en nombre extrêmement réduit. Tout ce qui va permettre à des PME de franchir un cap et de se porter un peu plus vers l’extérieur et de capter les conditions de la croissance, est bienvenu. De ce point de vue, l’obligataire peut être une bonne solution pour les PME, mais aussi pour l’investisseur car il lui permet de compléter l’arsenal d’outils de financements qu’il déploie auprès des entreprises. Il est moins dans la prise de risques que lui procure l’equity pur, tout en restant sur la recherche d’un rendement qui peut être un tout petit peu plus régulier, et auprès d’entreprises qui ont déjà donné quelques gages de capacité à croître, à innover et à se projeter à l’extérieur.

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